Claude et Annie se sont dit oui l’un à l’autre il y a 34 ans. Après de difficiles premières années de mariage, Annie tombe amoureuse d’un autre homme. Leur vie de couple est en péril. Mais leur histoire ne s’arrêtera pas là.
Annie : Lorsque nous nous sommes connus, pendant une semaine nous nous sommes vus tous les jours, au cours desquels nous avons échangé sur ce que nous voulions faire de notre vie. Claude était issu d’une famille très chrétienne. Moi, j’avais simplement « le vernis » (catéchisme, etc.). Nous partagions cependant le même idéal de vie. Au bout d’une semaine, nous nous sommes dit : « C’est sûrement lui, c’est sûrement elle. » Nous avions comme une certitude intérieure.
Claude : Au cours de mes études supérieures scientifiques, j’ai été formé à l’intelligence de la foi par un prêtre, professeur de psychologie et aumônier de plusieurs écoles d’ingénieurs. Il nous proposait des retraites et une solide catéchèse pour adultes. De plus, engagé dans le scoutisme, j’avais beaucoup réfléchi sur l’amour, l’engagement, etc. Et même si ce que l’Église proposait était exigeant, j’y adhérais intellectuellement. Quand j’ai rencontré Annie, je pensais que ces choses allant de soi pour moi, il devait en être de même pour elle, ce qui n’était pas si évident…
Annie : Juste après notre rencontre, Claude est parti au service militaire. On ne s’est pas revu pendant plusieurs mois. On s’est écrit et… on a beaucoup idéalisé ! Quand nous nous sommes revus, c’était comme s’il n’existait plus rien entre nous. Je n’ai pas osé le lui dire. Nous avons continué à nous voir lors des permissions, mais nous étions de plus en plus en décalage l’un vis-à-vis de l’autre. Pendant son service, Claude a vécu une expérience spirituelle forte. Il en a été complètement transformé. Là, j’ai encore plus « accusé le coup » ! Je ne comprenais plus du tout ses propos. J’attendais de grandes déclarations d’amour. Je voulais qu’il s’agenouille devant moi, qu’il me dise qu’il m’aimait. Mais rien. J’étais extrêmement déçue et même jalouse de ce Dieu dont il me parlait !
Claude : J’avais jusqu’alors dans le domaine de la foi des convictions intellectuelles et une certitude morale, mais je ne vivais pas encore une adhésion de cœur. Pendant mon service, j’ai effectivement fait une première rencontre du Dieu vivant. L’expérience de son amour a commencé à changer mes perspectives. Ma foi est devenue moins intellectuelle.
Annie : C’est dans un tel contexte relationnel que nous nous sommes mariés. Une vraie folie ! Nous l’avons fait en nous fondant sur les huit premiers jours de notre rencontre. À la fin d’une retraite de préparation au mariage, chacun de nous a composé une prière. Moi, je ne sais pas pourquoi, j’ai demandé explicitement la fidélité !
Claude : Pour moi, une fois qu’on avait donné sa parole, on ne pouvait pas la reprendre. C’était quelque chose qui me paraissait solide. Comme nos relations, au début de notre mariage, n’étaient pas faciles, je m’appuyais sur cette certitude.
Annie : On n’était pas du tout sur la même longueur d’onde ! Très vite, nous avons eu trois enfants. Je me suis réfugiée dans la maternité. C’est tellement phénoménal ! J’étais comblée affectivement. Nous évitions soigneusement les moments en couple, car chaque fois que nous nous retrouvions face à face, cela se passait assez mal. Puis, on s’est laissé prendre dans une sorte de tourbillon : préparation au mariage, chorale, animation liturgique, etc. Plus nous nous plongions dans l’action, moins nous avions l’occasion de penser et de regarder nos problèmes en face.
Claude : Pendant toute cette période, je ne vivais pas en vérité avec moi-même. Je sentais bien qu’on avait des difficultés. J’essayais de tenir tant bien que mal. Mais plus ça allait, plus ma vie dérivait vers une sorte de désespoir. J’étais mal dans ma peau et je ne voulais pas que cela se voit. J’étais assez conscient que cela me démolissait de plus en plus.
Une lumière dans notre nuit
Annie : Au bout de sept ou huit ans de mariage, nous avions autour de nous un groupe d’amis très sympa. Nous passions ensemble des soirées bien arrosées ! À l’époque, je chantais et Claude m’accompagnait à la guitare. Mais une nuit, je me suis aperçue que je chantais pour un autre. J’ai réalisé, stupéfaite : « Je suis amoureuse ! »
Jusque-là, je pensais que quand on aimait quelqu’un, c’était pour la vie ! Pourtant, mon cœur battait. J’étais complètement empêtrée dans mes sentiments. En même temps, je continuais à aimer Claude. Je l’avais choisi et ce choix était comme imprimé au fond de moi.
Claude : Quand j’ai compris ce qui se passait dans le cœur d’Annie, je n’ai pas pu l’admettre : sur le moment, c’était trop gros. J’étais comme anesthésié. Puis j’ai commencé à ruminer toutes ces choses en moi-même. Tout s’effondrait. Il n’y avait aucune issue possible. Je n’avais plus qu’une certitude : même si Annie partait, moi, je ne bougerais pas. J’ai alors renoncé au bonheur, à toute vie affective épanouie.
Annie : De mon côté, j’avais l’impression de jouer dans une mauvaise pièce de théâtre où la fille commence à avoir un amant et que tout part de travers. Je n’étais pas satisfaite du tout de cette situation. Heureusement, j’étais tombée amoureuse de quelqu’un de bien. Comme moi, il était marié et avait des enfants. De plus, il avait la chance d’être accompagné spirituellement. Il m’a dit : « On m’a conseillé de sublimer. » J’en étais pour ma part absolument incapable et je suis tombée en dépression très profondément. Je me suis retrouvée sous tranquillisants. Je pleurais tout le temps. Claude était désespéré. Je ne m’occupais même plus des enfants. J’étais sur mon lit toute la journée. On n’avait plus aucune espérance, ni l’un ni l’autre.
Claude : Cet enfer a duré une année. À cette époque, un jeune vicaire de notre paroisse a lu un article dans Paris Match intitulé : « Le Saint-Esprit est tombé dans Paris. » Il parlait du phénomène alors naissant en France du Renouveau charismatique catholique. Ce vicaire est allé voir. Il est revenu emballé et nous a dit : « J’ai rencontré des chrétiens qui ont vraiment la foi, qui sont joyeux, etc. » Comme il savait qu’on n’allait pas bien, il nous a suggéré avec insistance d’y aller à notre tour. Après bien des résistances, nous avons fait ce pas. Quand je suis arrivé dans la crypte où se réunissaient ces personnes pour prier, j’ai reconnu que Dieu était présent dans cette assemblée. Après cette première tentative, nous y sommes retournés toutes les semaines. Des choses changeaient dans notre vie, mais Annie était toujours en dépression. Puis, à la Pentecôte, lors d’une nuit de prière dans notre paroisse, j’ai fait une nouvelle expérience forte de Dieu : la rencontre de Jésus sauveur. Dans le même temps, j’ai accepté profondément Annie dans sa maladie : j’avais retrouvé l’espérance !
Annie : À partir de ce jour-là, Claude me donnait tous les jours les paroles qu’il fallait pour tenir le coup et ainsi assumer ma journée. Enfin, il ne coulait plus avec moi et m’aidait même à remonter la pente ! Puis, on nous a proposé d’aller au premier rassemblement du Renouveau charismatique à Vézelay. Le deuxième jour, je me suis sentie poussée à crier vers Dieu : « Seigneur, si tu existes, sauve-moi ! Guéris-moi ! » La dernière nuit, j’ai saisi que j’étais aimée profondément par Dieu. En même temps, j’ai eu la certitude que Claude et moi, nous étions faits pour être ensemble. C’était le même amour. Il y a un moment où cela devient inimaginable de ne pas être ensemble !
Claude : À notre retour, nous avons décidé de déménager. Il était important que nous refassions notre vie ailleurs. On s’est installé à la campagne. Et notre vie de famille s’est reconstruite peu à peu. La reconstruction de notre couple a pris au moins autant de temps que celui que nous avions passé à nous détruire l’un l’autre ! Et nous avons eu deux autres enfants. Quand on est heureux, on a envie de donner la vie !
Annie : La guérison de notre couple s’est déroulée en plusieurs étapes. Nous avons eu un certain nombre de pardons à nous donner. Quand il y a eu une crise grave, on accumule de nombreuses blessures et ça finit par faire un énorme abcès. Le pardon ouvre l’abcès et permet à tout le négatif de ressortir. Là, la grâce de Dieu nous a énormément aidés. De plus, il a fallu qu’on retrouve confiance l’un dans l’autre : Claude envers moi et aussi moi envers lui. Après cette période tourmentée de notre vie, je pensais en effet que je ne pouvais plus m’appuyer sur lui. J’ai compris aussi que la fidélité que j’avais demandé dans ma prière lors de notre retraite de fiançailles, Dieu me l’avait vraiment donnée : c’était une grâce du sacrement de mariage !
Claude : Maintenant, au bout de 34 ans de mariage, nous commençons à réaliser le sens de la Parole de l’Écriture: « L’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un. » (Gn 2,24). Il y a un moment où cela devient inimaginable de ne pas être ensemble !
Annie : Aujourd’hui, c’est bien mieux qu’au début ! On commence à entrer dans le véritable amour, l’amour de don. Au début, on prend ce que l’autre nous donne et qui nous fait plaisir. On aurait tendance à vouloir oublier les défauts. Au bout de 30 ans, je peux dire que j’aime Claude même avec ses travers, avec ses pauvretés, ses limites, ses défauts, j’ai tout intégré. Maintenant, j’aime la personne. Au début, je disais : je te choisis tel que tu es, mais je ne réalisais pas du tout… Dire stop à l’imagination !
Claude : Plus on rentre dans cet amour de don, plus on va vers un véritable bonheur. Ne sommes-nous pas faits pour l’Amour ? L’amour conjugal est une image de l’amour de Dieu : à chaque fois que Dieu veut parler de son amour pour l’homme, il utilise des symboles nuptiaux. Plus on rentre dans la volonté de Dieu, plus on est heureux. Or, s’aimer selon le projet de Dieu, c’est-à-dire dans la fidélité, dans le don de soi à l’autre de plus en plus grand, c’est ce qui rend véritablement heureux. Les autres façons de faire conduisent assez vite à des impasses. C’est cette expérience qu’on fait petit à petit : plus on va dans le sens du plan d’amour de Dieu sur l’homme et la femme et plus on s’accomplit, en tant qu’homme, en tant que femme et en tant que couple. On va alors vers un vrai bonheur, exigeant, certes, mais magnifique.
Annie : Maintenant, quand je suis attirée par quelqu’un, je prends les moyens pratiques pour rester fidèle ! Ma politique est simple et efficace : « prendre la tangente » et décider de ne donner aucune prise à ce genre de sentiment. Ne pas laisser l’imagination s’emballer et inventer une romance. Claude m’a dit un jour : je suis engagé vis-à-vis de toi, donc capable de me fermer à toute autre femme. Un jour pourtant, il est lui aussi tombé amoureux d’une autre. Il s’est arrangé pour ne plus rencontrer cette femme. Il a lutté. Il n’a pas du tout alimenté ce sentiment qu’il éprouvait.
Claude : J’ai pratiqué ce qu’on appelle la garde du cœur. C’est-à-dire que j’ai toujours fui les situations dangereuses, volontairement et consciemment. De manière excessive même, de telle sorte que sur mon lieu de travail, j’avais la réputation d’être misogyne !
Annie : Aujourd’hui, notre bonheur est de tenter de redonner ensemble de l’espérance à des couples en difficulté. Quand on est heureux, on n’a qu’une envie : retrousser ses manches et venir au secours des autres, avec l’aide de Dieu.
Source : "Vivre heureux en couple", Revue "
Il est vivant!",
n°194, mai 2003, communauté de l'Emmanuel.
Dossier "Vivre heureux en couple"
(paru dans la revue "Il est vivant!", communauté de l'Emmanuel) : Cohabiter ou se marier? (1) Cohabiter ou se marier? (2) Cohabiter ou se marier? (3) Témoignage : Une aventure à deux (4) Témoignage : Le mariage m’a appris la liberté (5) Témoignage : Nous nous sommes pardonnés (6)